La Transformation de Rose

8 février 2019 2 Par Sylvie Lagache

Premier contact

Rose est une adorable femme de 60 ans, trisomique qui vit depuis 10 ans dans une institution (Maison Accueil Médicalisée – MAS). J’ai connu Rose il y a 2 ans 1/2 lorsqu’on m’a invité à initier un groupe de danse-thérapie au sein de cette institution. Rose a été invitée ainsi que d’autres personnes à faire partie du groupe. Elle voulait bien participer quand on lui a demandé son avis, elle a dit oui et disait oui chaque fois qu’on venait lui dire bonjour dans le salon où elle était toujours assise et à la même place. Mais le gros problème c’était que Rose ne supportait pas qu’on la déplace d’un endroit à un autre, elle s’exprimait par des cris très forts chaque fois qu’on la sortait de son fauteuil. On m’avait signalé qu’elle avait peur du vide et qu’avant de venir en institution sa maman la laissait toute la journée dans son fauteuil et même pour dormir la nuit. Donc la grande épreuve c’était chaque semaine d’amener Rose à l’atelier, qui était juste à côté mais qui exigeait d’elle beaucoup d’effort surtout au niveau émotionnel. Au début c’était les aides soignantes de l’institution qui l’accompagnaient. Puis quand Rose arrivait devant son fauteuil qu’on lui avait installé à l’atelier, c’était un autre rituel : il fallait tourner avec elle au moins cinq fois devant sa place afin de vaincre sa résistance à s’assoir et enfin, quant elle s’était assise, il fallait rester avec elle pour lui donner la main qu’elle ne voulait surtout pas lâcher – tâche que je laissais en général à un des stagiaires pour que je puisse être disponible pour accueillir les autres résidents.

Les possibilités de Rose

Puis après quelques séances nous avons essayé, un stagiaire et moi, de l’amener. C’était le même scénario: cris, résistance et peurs. J’ai commencé à inventer des sons musicaux rythmés à la cadence de ses pas (pam/pam-pam/pam) ce qui a commencé à la faire rire. Ainsi elle oubliait un peu ses angoisses et commença à créer des liens ludiques qui me semblent, lui ont permis de dédramatiser ses déplacements. Une fois assise Rose était capable de passer en l’espace d’une seconde des cris aux pleurs et des pleurs au rire, ce qui était assez réconfortant pour nous car nous avions bien compris qu’une fois installée à l’atelier, elle pourrait y participer même que partiellement. Elle appréciait beaucoup quand on chantait son nom (rituel d’accueil de chaque participant), elle souriait. Quand on faisait des gestes avec des sons, c’était la première à s’exprimer et on l’imitait. Par contre quand on commençait le travail sur le toucher: même effleurer son corps, c’était tout de suite le « ah non, non » qu’elle verbalisait très bien en nous repoussant avec ses mains. Elle participait des rythmes musicaux en tapant dans ses mains et aimait secouer un instrument avec des clochettes à la fin de l’atelier qui se termine (avant le rituel de l’au-revoir) avec un instrument de son choix, accompagnant différentes types de musiques. Cela a duré ainsi un an. Puis nous pris des vacances de deux mois.

La deuxième année

A la rentrée, je pensais que ce serait laborieux d’amener Rose à l’atelier car en deux mois, j’imaginais qu’elle avait oublié ses repères. Et bien, quelle fut ma stupéfaction de voir Rose toute contente de me voir comme si on s’était quitté la veille. Je lui demande si elle veut aller chanter et danser. Elle me dit : « oui  » en souriant. Je me risque donc de lui prendre les mains car je marche à reculons devant elle, toujours en chantonnant les pam/pam/pam rythmiques et elle rigole: elle ne crie plus!!!! Là je n’ai plus rien compris! Que s’est-il passé dans sa tête ou dans son corps pendant ces deux mois pour que sa résistance s’évapore? Je n’ai pu que conclure que le travail d’un an avait fait son petit chemin tout seul et qu’elle l’avait assimilé et métabolisé. Que la mémoire sensorielle du plaisir et de la confiance éprouvés pendant les séances d’atelier l’avaient aidé à surmonter ses peurs. Enfin, une partie des peurs puisque le contact du corps, le toucher n’était pas encore gagné.

Les progrès de Rose

Voyant Rose plus rassurée, j’ai commencé à substituer son besoin de s’accrocher à nos mains, pendant la mise en place du groupe, par un cahier, en lui disant que je lui confiais et qu’il fallait qu’elle fasse attention. Elle le tenait comme la chose la plus importante du monde. Elle continuait encore à faire son rituel de tourner plusieurs fois devant le fauteuil en résistant avant de s’assoir, disant clairement « peur, peur! », puis enfin s’installait. Nous avons pu constater cette 2ème année qu’elle acceptait déjà bien le toucher rythmique (tapotage) sur ses jambes et pieds. Puis au fur et à mesure des séances nous élargissions le champ de contact sur les bras et les mains, pour arriver enfin en fin d’année sur tout son dos. Mais je précise bien que c’était un toucher rythmique, pour lui faire sentir la pulsion de la musique dans son corps.

Première initiative de Rose

Un beau jour, lors de mon retour de vacances scolaires de 15 jours, je vois Rose radieuse qui rentre dans l’atelier avec une aide-soignante et conduit l’aide-soignante en direction de son fauteuil que l’on avait déjà installé. Celle-ci nous commente que c’est Rose qui l’a amené à l’atelier et non pas le contraire. Quelle joie d’abord de voir Rose le sourire jusqu’aux oreilles et aussi de constater ses énormes progrès. Bien sûr qu’à partir de la 2ème année, Rose non seulement n’a jamais plus crié mais elle est toujours venue les yeux pétillants de joie et le sourire aux lèvres. 

La Victoire de Rose

Maintenant nous sommes dans sa 3ème année et Rose n’arrête pas de nous surprendre. A présent elle accepte avec plaisir toutes les propositions à savoir toutes sortes de toucher comme le toucher glissant sur la peau (ou le vêtement). C’est un toucher plus proche de l’intimité de la personne qui n’est d’ailleurs pas accepter par tous les participants, principalement ceux qui souffrent d’un sceptre autistique car c’est un toucher qui est lié aux affects. Ce toucher glissant peut être plus vigoureux ou plus doux selon la proposition. Nous employons ce toucher d’une part pour que le participant puisse enregistrer dans son cerveau un schéma corporel de son propre corps mais aussi pour lui faire sentir un mouvement à partir de la sensation du toucher glissant sur son corps (surtout au niveau des bras et des jambes). Rose répond positivement en se laissant totalement faire. Elle n’a plus aucune résistance. Elle est devenue réceptive et réactive à toutes propositions, sauf quand elle s’assoupit, ce qui peut arriver durant la séance et à plusieurs reprises. Mais ce ne sont que quelques petites minutes. Ses dernières prouesses sont maintenant de se lever toute seule pour danser ou aller s’asseoir à côté de quelqu’un d’autre pour partager un moment. Rose égaie la séance avec son sourire de satisfaction et son expression d’épanouissement. Quelle transformation ! Selon la directrice de l’institution et la psychiatre qui l’accompagne, Rose a totalement changé son quotidien. Avant et pendant 10 ans, elle ne sortait jamais de son fauteuil et chaque fois qu’il fallait la déplacer, elle hurlait, à tel point qu’on ne pouvait pas l’emmener à des sorties. Elle était également complètement dépendante. Maintenant elles nous relatent que Rose « fait sa vie » : elle se lève , elle s’assoit toute seule, déambule à droite, à gauche, toujours contente. Cette belle victoire sera donc récompensée, par parait-il, un voyage aux sports d’hiver avec d’autres collègues de l’institution, car à présent Rose est prête à profiter, à savourer, mais aussi à s’intégrer dans un groupe pour qui elle sera, sans aucun doute, une bonne et agréable compagnie. Bravo Rose ! Tu es notre fierté et en te voyant heureuse tu nous rend tous très heureux, c’est certain!

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