Un moment de partage à L’Arche avec Jean Vanier

6 novembre 2018 2 Par Sylvie Lagache

Quelle joie de recevoir l’invitation de Jean Vanier pour donner mes ateliers de danse-énergie-thérapie à L’Arche. C’était le 22 et 23 Octobre 2018 à Trosly Breuil, la communauté où Jean habite.

Cela fait 20 ans que je l’ai connu  au Brésil. A l’époque je devais le traduire, ce qui ne s’est pas fait au dernier moment mais c’est ce qui m’a permis de participer plus pleinement à sa retraite spirituelle. C’était sur le thème de la rencontre de Jésus avec la samaritaine autour d’un puits. Jean décrivait d’une façon tellement vivante la situation que je le voyais imprégné de la présence du Christ. Comme disait Saint Paul : « Je vis, ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi ». Galates 2.20. Ainsi l’histoire de 2000 ans en arrière se transportait soudain dans le temps présent. Cette image est toujours restée gravée dans ma mémoire sensorielle et c’est pourquoi j’ai voulu suivre – même à distance – les pas de Jean Vanier qui s’est révélé être à mes yeux une personne intègre, cohérente entre ce qu’il dit, ce qu’il est et ce qu’il fait. C’est très difficile d’unir ces trois dimensions, d’où mon implication totale depuis 40 ans à développer un travail corporel à partir de la danse qui unifie le corps (j’agis), l’âme (je ressens) et l’esprit (je pense).

Il m’a fallu 20 ans aussi pour concrétiser cette nouvelle rencontre dans le sens que je venais cette fois-ci apporter à L’Arche ma contribution, le fruit d’un chemin longuement mûri et parcouru, la concrétisation d’une méthode spécialement développée et adaptée aux personnes fragilisées et en situation de handicaps très lourds (dont j’explique la pratique et la théorie dans mon livre : Danse-Énergie-Thérapie – Cancer et handicap).

Il y a 20 ans je ne savais pas que je me spécialiserais dans ce domaine. J’avais beaucoup d’admiration pour les accompagnants qui prenaient soin de ces personnes mais je ne me voyais pas leur donner des ateliers de danse-thérapie. Cependant la vie en a voulu autrement. Sans m’en apercevoir elle me rapprochait chaque fois plus de cette dimension humaine-spirituelle que j’avais ressentie lors de ma première rencontre avec Jean. Cela a commencé par le fait que j’ai entrepris des études de théologie en 2003 qui m’ont énormément enrichies, à tel point que j’en ai investi 8 ans de ma vie. Puis le destin a fait que de retour en France j’ai dû faire des stages, lors de mon master d’art-thérapie, avec des danse-thérapeutes responsables des ateliers pour personnes polyhandicapées. « Par hasard ? » ma référente de stage est tombée malade et j’ai dû la remplacer rapidement à sa demande. Au fur et à mesure, les ateliers se sont enchaînés et chaque atelier était bien différent de l’autre, m’obligeant à créer et développer de nouveaux outils pour une meilleure façon de les approcher et de les éveiller. Au début j’avais des groupes plus mobiles : des personnes debout qui se déplaçaient et qui s’exprimaient verbalement. Ensuite se sont succédés des groupes en situation de handicaps plus lourds, souvent en fauteuils roulants avec une mobilité très réduite, même au niveau des bras et des mains et puis ils ne parlaient pas. Et là, comment faire ? Comment faire réagir le corps ? Comment les comprendre ? Comment percevoir leurs besoins ? Comment créer des liens ? Comment leur faire plaisir ? Comment installer de l’entrain et de la joie ? C’est en me posant ces questions que j’ai essayé d’y répondre en tâtonnant et en proposant de nouvelles choses, jusqu’à percevoir quelques réactions gestuelles ou expressions faciales. Et c’est ainsi que j’ai mis en place, progressivement des outils que je sentais adaptés à leurs besoins. A l’écoute et toujours à l’écoute. Et puis on découvre qu’ils sont sensibles à notre empathie et reconnaissants. Ils nous manifestent leur affect d’une façon généreuse et confiante. Ils sont émus et nous aussi. Nous vibrons ensemble. Quelle belle énergie ! Notre cœur se dilate, il devient chair. Nous nous rencontrons au-delà du handicap, de la souffrance, de la différence, des barrières. Nous nous rencontrons dans nos âmes qui s’expriment par des yeux qui brillent et pétillent, par un sourire ou un rire innocent d’enfant, par la présence de nos êtres ici et maintenant.

Il y a 10 ans, je suis allée visiter Jean dans sa communauté, nous avions déjeuner tous ensemble et j’avais ressentie exactement ce même climat joyeux et bon enfant. Cela m’avait complètement séduite et je me demandais d’où venait cette gaieté spontanée. Maintenant j’ai compris, mais surtout dans mon cœur. Il m’aura fallu 20 ans de marche, de cheminement pour que l’esprit prenne forme.

Vingt ans pour matérialiser un désir, un projet et enfin venir les mains pleines pour offrir en toute joie mon livre à Jean et mes ateliers à la communauté. Quel bonheur d’être bien reçu à L’Arche qui accueille le don de l’autre et le valorise. Ils ont tous désiré, à ma grande satisfaction, donner suite à l’activité. Tout était tellement fluide, généreux, chaleureux, qu’il n’avait pas lieu de s’inquiéter. La confiance était reine, elle planait dans l’atmosphère. Même loin de leurs repères, les nouvelles propositions de ma stagiaire Nathalie et moi ne les ont pas déstabilisés. Le climat était très familier. La présence des assistants (comme il l’appelle à L’Arche) leur procurait une sensation de sécurité. J’ai pu observer aussi qu’ils étaient vraiment à l’écoute de leur résident et dans l’empathie. C’est clair que pour être à L’Arche il faut une préparation et même une formation.

L’Arche c’est la douceur et la tendresse qui priment comme son maître spirituel Jean Vanier ! Tel arbre, tel fruit ! Comme c’est reposant et nourrissant de se retrouver dans un lieu où on n’a pas besoin de se défendre, où on n’a pas besoin de se mettre en évidence, où on n’a pas besoin de parler haut pour se faire entendre, où on n’a pas besoin de faire mieux que l’autre pour être reconnu…… Quel privilège d’être accueilli dans un tel lieu ! J’aimerais tellement faire partager ces richesses à mes enfants, à mes amis, à tous les êtres humains, mais j’ai bien conscience que ce qui est doux pour moi ne l’est pas forcément pour l’autre. Ce qui est lumineux pour moi ne l’est pas forcément pour l’autre. Si ce n’était pas comme ça le monde aurait reconnu la lumière et l’amour de Jésus !!!! Chacun voit et écoute ce qu’il peut voir et écouter. Et chacun a son moment aussi, par exemple il a 20 ans je n’étais pas prête à apporter une contribution à L’Arche. Heureusement on évolue. La plasticité de notre cerveau, actuellement prouvée scientifiquement, nous permet de s’adapter aux changements, aux situations et de progresser. C’est une belle découverte ; même en prenant de l’âge notre cerveau a le pouvoir de se façonner au gré de l’histoire vécue. Rien n’est jamais figé dans les neurones quelques que soient les âges de la vie. Pour nous art-thérapeutes cette connaissance est une révélation qui nous donne encore plus de motivation pour notre travail. Cela explique en fait, le pourquoi des résultats excellents et surprenants avec des personnes atteintes de Parkinson ou d’Alzheimer et bien sûr en situation de handicap. Les aides-soignants des institutions sont souvent étonnés de percevoir des changements comportementaux chez les résidents après plusieurs séances, bien sûr, de danse-thérapie car beaucoup pensent, que nous faisons de l’animation et non de la thérapie. L’impact de l’art est encore bien méconnu bien que l’on reconnaisse de plus en plus l’importance de l’expression des émotions dans un processus thérapeutique.  

Merci à L’Arche de valoriser notre travail ; merci pour votre accueil inoubliable ! Merci à Jean de m’avoir reçu avec Nathalie chez lui dans son intimité. C’est une grâce que nous avons reçue et qui sera toujours présente dans notre âme. Gratitude pour ces moments de profond partage avec vous tous. Je reviens bientôt, c’est aussi mon désir et sera ma réalisation personnelle.

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